La magie, à nouveau…
Concert d’ouverture du 42e festival de jazz de Souillac, 17 juillet
2017, Pinsac, Romain Vuillemin Quartet
La magie, à nouveau…
Pinsac et le festival, c’est
un peu une histoire d’amour où le jazz susurre à l’oreille de son
public : « on se retrouve après le 14 juillet, lundi soir, à 21
heures, tu sais… au pied de l’église… je t’attendrai. » Et c’est un rendez-vous que
personne ne manque. Chaque année, les amoureux sont toujours plus nombreux. Hier soir après une journée
chauffée à blanc par un soleil impitoyable, nous avons renoué avec ce rituel
porté cette année par un vigoureux quartet, celui de Romain Vuillemin. Quatre jeunes garçons dans le
vent - une brise légère s’est levée en effet, caressant le visage et nous
réveillant de notre torpeur. Deux guitares, une contrebasse et un violon qui
vont nous entraîner dans les pas de Django, Grappelli et de leurs talentueux
héritiers .
Deux images : la
première, ferroviaire… Avec la contrebasse et la guitare rythmique, nous avons
une loco de choix : énergie, tempo immuable, binôme qui
inlassablement alimente le foyer. Le lead guitare en chef de train : lui,
donne la direction, instille la mélodie et déploie, déroule un tapis harmonique
et rythmique à notre voyageur de première classe qu’est le violon, fantasque,
taquin, charmeur incisif.
La seconde image pourrait
illustrer ce qui se passe lorsque ces jeunes gens foulent le plancher de la
scène. Non, ils ne sont pas là seulement pour « jouer » ou
« interpréter ». Ils sont résolument entrés dans une arène car ces
instruments, il va falloir les mater, les dompter. Voyez la pince puissante
d’Édouard le contrebassiste, qui lui permet de décocher les fondamentales comme
autant de traits. Rémi est « à la pompe », geste immuable et inépuisable
qui assure une trame harmonique sans faille. Que dire de la mélodie distillée
par Romain, pure et métallique - c’est cela aussi le son « manouche »,
mélodie imprimée par des doigts d’airain. Le violon de Guillaume, soit joué à
l’archet ou en pizzicati (cordes pincées avec les doigts) redouble la mélodie, offre un
contrepoint solide à la guitare, ondoie et glisse sous un archet à la fois
tendre et furieux. Il aura fallu les deux
premiers morceaux pour que la machine acquière sa vitesse de croisière. La nuit
nous a rejoints : le quartet ne nous lâchera plus.
Romain nous propose un
standard de Django. Question : « à trois ou à
quatre temps ? » Qu’à cela ne tienne, ils vont alterner entre un
balancement élégant et un quatre temps mordant et endiablé permettant toutes
les audaces. Déjà la technique est en place et la virtuosité illumine la scène. Le quartet poursuit avec un autre standard que Romain
nous conte d’une voix chaude, grave et sans effet. Le chorus de violon qui
s’ensuivra est somptueux ; il est vrai que l’accompagnement rythmique
puissant autorise toutes les nuances. Le cinquième morceau réserve
bien des surprises ! Surtout à nos artistes qui échangent des regards
mi-affolés, mi-amusés. Iront-ils jusqu’au bout à cette allure ? Question
que le public partage. Ce sera chose faite ; la Très Grande
Virtuosité s’arrêtera à Pinsac sans encombre. Alternance de tempos oblige,
le violon de Guillaume va nous « parler d’amour », nous « dire
des choses tendres », cette fameuse pièce de 1938 interprétée par Lucienne
Boyer. Mention spéciale pour un magnifique chorus en pizzicati au violon.
Nous quitterons alors notre
beau pays pour l’Est et ses rythmes envoûtants ; l’ambiance est
détendue. Romain en profite pour nous dire sa profonde amitié pour Guillaume et
leur complicité musicale : les deux compères l’illustrent aussitôt
par un dialogue fourni entre violon et guitare sous forme de 4/4, c’est-à-dire
de sections de quatre mesures jouées alternativement par chaque instrument.
La nuit à présent profonde
sied parfaitement à l’intro contrebasse d’Édouard qui semble vouloir « raccompagner
sa chérie chez elle ». « Walking My Baby Back Home » tel est en
effet le titre du morceau suivant. Le swing présent depuis le début du concert
ne se dément pas et trouvera son apothéose dans le dernier morceau clôturant le
premier set.
À la reprise s’enchaîneront
dans la bonne humeur et dans les chausse-trappes facétieuses que se tendent nos
brillants instrumentistes, de grands classiques comme : « Swing 41 »
de Django, «Sometimes I wonder Why I Sang » de Karmickael (1930), « Topsy »
de Count Basie (1930), un « Tea For Two » délicieux et doux à souhait
en duo violon guitare rejoints dans les dernières mesures par la rythmique. Un « Three
Little Words » très rapide que Guillaume refusera de jouer ( il en
est ainsi de ces morceaux que l’on a trop travaillés !!) Caprice de
star ! une plaisanterie bien sûr ! Les quatre garçons nous ravissent
ensuite d’un superbe mouvement, à 3 temps, délicat et posé. Suivent les
incontournables : « Body And Soul » chanté et joué par
Romain, savamment déstructuré avant de retrouver sa forme initiale dans une
belle unité d’orchestre. « Nuages » …que nous voudrions ne voir
jamais s’éloigner tellement violon et guitares magnifient le standard de
Django. « Minor Swing », encore un tempo ensorcelant qui aura raison
de la corde de ré du guitariste. Romain semble bien parti pour porter
l’estocade avec seulement cinq cordes comme Paganini le fit en son temps lors
d’un concert mémorable sur un violon à trois cordes !
L’homme est généreux et veut
rendre à sa guitare la dignité qui sied aux circonstances ; supporté par
ses amis qui, changeant de style s’engagent dans un groove lourd très rock
entamé par Rémi le guitariste rythmique, il réussit en un temps record à
rhabiller sa belle et rejoint comme par magie, au détour d’une mesure de
passage, le swing mineur interprété, il faut bien le dire, par un quartet
majeur !
L’heure est venue pour nos
amis de se retirer ; ils n’iront pas loin, tant le public en liesse est
impatient de les revoir. Romain propose alors : « After you’ve
Gone », autre standard, morceau de bravoure du jazz manouche, composé en
1918 par Layton. Chanté d’abord sur un rythme très lent, très groovy, il est
doublé ensuite (le tempo est multiplié par 2) ; la vitesse
d’exécution est impressionnante et la partition permet des retours à des lentos
bluesies. « Les Yeux
Noirs » viendront parachever le travail d’orfèvre de nos artistes,
l’élégance du violon répondant toujours à la virtuosité de Romain .
Le public nombreux a quitté à
regret la petite place de l’église qui résonnait de toutes ces belles mélodies
et vibrait encore de l’énergie et de la belle générosité de ces « 4
garçons dans le vent ». Si la guitare « manouche » avait forme
humaine, elle aurait sûrement un corps sec, musclé, noueux, un visage buriné marqué
par l’effort, avec dans ses yeux noirs un regard empli tout à la fois d’une
énergie et d’une tendresse infinie.
Jean-Pierre Kuntz
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