Lorenzo Naccarato, une Komet à Souillac
Le Trio de Lorenzo Naccarato
s’est produit vendredi 28 Avril , salle Du Bellay à Souillac, dernier concert
de la saison d’Hiver du théatre de l’usine de Saint-Céré en étroite
collaboration avec le festival « Souillac en Jazz » .
Les trois jeunes et brillants
musiciens ont offert à plus d’une centaine d’auditeurs attentifs et captivés
une performance musicale originale faite essentiellement de compositions du
pianiste Lorenzo Naccarato ; le
groupe éponyme est né de la rencontre de trois jeunes musiciens en 2012, actifs
sur la scène jazz de Toulouse . Leurs parcours universitaires les ont amenés à
développer la pratique singulière d’une théorie que le pianiste explique au
public dès les premiers morceaux : le Jazz cinématique .
Derrière cette
dénomination savante se profile la théorie d’un physiologiste français du XIX è
siècle :Jules Etienne Maret qui soutient que dans le galop du cheval les
phases d’extension supposent toujours le repos d’au moins un membre de
l’animal ; c’est l’anglais Muybridge qui en donnera la preuve scientifique
en 1878 à l’aide un montage chronophotographique astucieux .
Quel rapport , me
direz-vous, avec la musique ? Lorenzo Naccarato nous indique que c’est la
notion de mouvement, de continuité qui prime dans l’ exploration musicale du
groupe. En effet, si les compositions s’éloignent des formats
« classiques » du jazz , hérités du swing et des différentes
variations du bop, elles s’inscrivent résolument dans les écritures modales
plus contemporaines que nous connaissons aujourd’hui ; le public n’a pas
manqué de citer à la fin de ce concert des rapprochements évidents avec EST,
Avishai Cohen .. on pourrait ajouter Yaron Hermann et toute cette nouvelle
veine de trios piano.
Continuité donc ;
celle notamment de la main gauche du pianiste qui délivre des lignes cycliques
envoutantes et magnétiques en ostinatos puissants et assure l’aération du thème
. Le jeu d’Adrien Rodriguez est rond et massif : la contrebasse double
souvent la main gauche du pianiste assurant ainsi l’assise harmonique stable du
propos. Une complicité toute particulière, fruit d’un travail assidu entre nos
trois performers, est surtout lisible entre Lorenzo et Benjamin Naud le
batteur ; plus encore percussionniste dans la nouvelle tradition de ces
jeunes batteurs de jazz . En totale osmose , en « eye contact »
permanent, ces deux-là dialoguent , échangent ; la part belle est de ce
fait laissée aux futs, aux cymbales, aux objets sonores, qui chantent et
content une histoire .
Benjamin Naud
déconstruit les rythmes , jouant des mesures à 7 , 9 ou 11 temps; à
quoi bon frapper les temps forts quand on peut le faire un peu .. avant ou un
peu … après ? Ce qui résulte de cette complexification du rythme, c’est
une forme de déséquilibre permanent qui assure aux pièces une énergie folle et
fluide. Elle permet également un travail d’ouverture de l’espace sonore comme
lors de ces plages où Adrien peut faire chanter sa contrebasse à l’archet en de
puissantes mélopées .
On pensera bien sûr à
la notion d’ « interplay » fondée par Bill Evans,dans les années 60
, synonyme d’ intrication des lignes
mélodiques et rythmiques de chaque protagoniste du trio , quoique cette
expérience fut construite à son époque sur une base mélodique et harmonique
très classique .Le trio Naccarato distille cette technique différemment
aujourd’hui .
On pourra penser
également aux trios d’Ahmad Jamal, grand maître de l’espace et du temps ;
on retrouve avec nos trois jeunes musiciens cette science de l’espace sonore ,
et le plaisir facétieux de sans cesse bouger les lignes rythmiques .
Le public de Souillac
ne s’y est pas trompé qui a chaleureusement applaudi le Trio Naccarato et
apprécié la petite perle classique que Lorenzo nous a offert en rappel solo :
une délicate barcarolle dédiée à celle qui a initié sa carrière pianistique .
Nous ne pouvons qu’être
assurés que dans les années qui viennent, ces trois brillants musiciens sauront
encore nous ravir de leur talent !
Jean-Pierre Kuntz contre-bassiste mais pour le jazz ! en réponse à La Vie Quercynoise
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