11 novembre 2015

A music “live”, but not “evil”



A l’automne 91, je présentai lors du Train du jazz en gare Matabiau à Toulouse la Cie Messieurs Mesdames sur scène. Dans le livre paru à cette occasion « Jazz en Midi-Pyrénées – Swing nobody can forget » présenté par Christian « Kitz » Kitzinger page 68, on peut lire : « Beaucoup d’humour, d’irrévérence et … de maîtrise. Une « Compagnie » unique en son genre, même si elle émule la philosophie musicale d’Hermeto Pascoal ».
Le nom était lancé ! Deux ans après, le plus grand des musiciens et compositeurs brésiliens, le « plus impressionnant musicien du monde » d’après Miles Davis, écrivait un programme pour la Compagnie, joué notamment à Jazz sur son 31 et à Jazzèbre (Perpignan).

En 2015, pour fêter les 25 ans de la Compagnie, le Didier Labbé quartet, quelques Messieurs de la compagnie, après deux résidences à Millau, proposait son « Écho à Hermeto Pascoal » en création à Gignac le 6 novembre 2015 et le lendemain à Gramat dans le cadre de la Saison 15/16 de la Scène conventionnée du Théâtre de l’Usine de Saint-Céré en partenariat avec Souillac en jazz et Ecaussystème.


 C’est avec une composition du batteur Alain Laspeyres que le quartet nous immerge dans l’univers de Pascoal. Didier Labbé appelle les Dieux du jazz avec ses appeaux. Un jazz ouvert comme aimait à le dire Sim Copans « une maison aux fenêtres ouvertes ». Avec « Paradoxe hermétique », nous sommes au cœur de l’innovation du maître du Nord-Est brésilien. Cette entrée en matière met en évidence les quatre musiciens. 




« SBES » toujours signée du batteur me rappelle cette image d’Hermeto sortant de l’eau en jouant de la flûte ou en sortant par ailleurs des notes la bouche immergée dans l’eau ! Ce « Sexy Boy En Short » propulse au devant de la scène l’accordéon de Grégory Daltin et le sopranino de Labbé. 




Puis l’accordéoniste offre « Why not » à ses amis où Laurent Guitton le tubiste s’en donne à cœur joie et où on trouve en Didier Labbé un de nos tous premiers flûtistes de jazz. Après la nappe jonchée des boutons de nacre, le quartet en folie tire un feu d’artifice de notes sur « De bric et de broc » toujours de Daltin. Le mot de quartet trouve ici parfaitement son sens, il s’agit bien de quatre artistes ensemble, tour à tour solistes, tour à tour accompagnateurs, tour à tour compositeurs, qui ensemble nous invitent au voyage. Les appeaux appellent les oiseaux de la forêt amazonienne et les vibrations des cymbales dynamisent l’écho. Dans les années 80, le compositeur brésilien fasciné par les sons de la nature avait « salué » le parc naturel Alto Ribeira près de Sao Paulo. Laurent Guitton fait rugir son instrument tel un jaguar, dans un dialogue avec la flûte du leader dans « Quiproquo », mais sur scène, il n’y a pas de méprise, on est bien dans l’esprit. Pour se poser un peu, les musiciens vont se bal(l)ader sans le batteur sur « Passejada », puis au retour du percussionniste, Didier Labbé aère son saxophone alto – sur ce projet, la part belle est faite à la flûte – pour un thème plus jazz, avant de terminer le concert par deux compositions d’Hermeto Pascoal. « Musica das nuvens e do Chao » et « Aline Frevando » où on assiste à une belle discussion entre l’accordéon et la batterie arbitrée par le tuba qui, quelques instants plus tard, d’une allure féline se fait longuement applaudir.




Le public est séduit, les musiciens reviennent et nous gratifient d’un « Bébé » que nous avions par ailleurs découvert dans les grottes de Lacave en 2012 avec le duo Labbé / Daltin, thème qui figure sur le CD « Anima ».




En parlant de CD, ils entrent en studio début 2016, j’attends avec impatience, impatience double grâce au visuel encore une fois remarquable de Ronald Curchod qui signe tous les livrets. Ce sera un bel oiseau, sûrement celui qui répond aux appeaux de Didier Labbé, celui que l’on imagine, en écoutant la musique, virevoltant dans la forêt proche d’Arapiraca. Les CD des projets de Didier Labbé sont de véritables œuvres d’arts plastique et musical à collectionner.

A voir et écouter de toute urgence. Dès le milieu des années 60 après le coup d’état de 64 dans son pays, Hermeto Pascoal parlait de « musique universelle » allant même à l’encontre de la jeunesse brésilienne. C’est une musique sans étiquette, apte à ravir les amoureux de la bonne musique, bien sûr c’est du jazz, mais du jazz pour curieux qui n’ont pas peur d’ouvrir leurs oreilles, allonger leurs jambes et se laisser envahir et transporter, un régal, ça fait du bien, c’est « généreux », c’est « fou », c’est « innovant », c’est l’esprit  Hermeto Pascoal mais c’est surtout le Didier Labbé quartet, qui, à la salle de l’Horloge de Gramat, a remis le jazz à l’heure.

Robert Peyrillou
photos Pierre Ravix - Souillac en jazz