31 juillet 2019

Three Days of Forest


Depuis 20 ans, la vieille abbaye romane se concentre, le temps d’un festival sur des musiques de jazz. Or, pour cet anniversaire, une surprise lui était réservée : avant que ne commencent les concerts, une contrebasse et un banjo se dévoilent sur une terrasse, des saxophones et une trompette jaillissent aux plus hautes fenêtres et la vingtaine de chanteuses du chœur lotois Altichoeur entonne Oh when the Saints, (marching vers la majestueuse Sainte Marie?).
Puis place à la jeunesse et à Three Days of Forest, un groupe lauréat de Jazz Migration, dispositif d’accompagnement des jeunes musiciens. L’Association Jazzé Croisé, AJC, collectif de 80 diffuseurs (festivals, clubs, scènes labellisées,…) défend une programmation réfléchie, construite sur une idée militante et progressiste du jazz : contemporain, créatif, généreux et dont le propos s’inscrit dans le cadre de projets culturels affirmés et citoyens. Elle choisit chaque année quatre groupes de jeunes musiciens qui trouvent des scènes dans le collectif, dont Souillac en jazz.
Donc le jazz émergent, neuf, occupe le premier la grande scène de cette 44e édition.
Trois musiciens vêtus de rouge et noir abordent la soirée avec un rock en anglais, que, rapidement, la chanteuse Angela Flahault transforme en longue mélodie devenue langoureuse. Le Beffroi n’est pas en reste, dont les cloches égrènent les notes sur les derniers sons de la chanson.
Angela explique le concept du projet : chanter des textes de deux poétesses afro-américaines, Rita Dove et Gwendolyn Brooks. On comprend vite qu’il ne s’agit pas de douces paroles sur de mièvres musiques, mais au contraire d’une poésie grinçante et revendicatrice, une poésie féminine de combat. « Je chanterai d’une façon terrible. » Avec la même pugnacité et la même puissance vitale que les poèmes doux et violents des deux poétesses, Three Days of Forest expose Souillac en jazz à l’énergie et à la liberté créatrice de leur jeunesse. Fluides et limpides, les chants de la voix et de l’alto se font rauques, écorchés, dissonants. Sur des ruptures de rythme, les contrastes rebondissent, car les mots disent une réalité âpre et violente. Tout est instable, tout est remis en question, sans cesse. Mais, flagrant, le plaisir de jouer ne s’efface jamais des sourires d’Angela, Séverine et Florian. Sans concession, sans peur de rudoyer les mélodies, ils revendiquent en rap, ponctuent un cantique d’un cri déchirant ou déchaînent un rock. Extrêmement expressive, la musique décolle les textes de leurs mots, les mêle à des audaces sonores.
Sous les murs éclairés de l’abbaye multicentenaire, le jazz, musique infatigable, voit poindre son futur.
Angela Flahault, voix ; Séverine Morfin, alto ; Florian Satche, batterie
Marie-Françoise