16 juillet 2019

Pinsac en poésie





Délicieux, tout en fine dentelle, que c’est beau, tels sont les mots qui se chuchotaient, de bouches à oreilles, dans les rangs serrés des chaises sagement disposées devant la façade de pierre de l’église de Pinsac. Ce lundi 15 juillet, le quintet Cavale de Prêle Abelanet a enchanté la nuit de poésie et de rêve. « Cavale, pour l’évasion, pour s’échapper, pour l’ailleurs », m’a expliqué l’accordéoniste compositrice.
Il fait jour quand le concert commence, à l’heure où le ciel pâlit, où le blanc de la pierre lotoise se teinte de rose, où la chaleur cède le pas. Les musiciens paraissent un peu tendus mais ils sont contents et ouvrent le concert par une mélodie de fête foraine, un semblant de ritournelle, comme pour nous prendre par la main et nous leur emboîtons le pas. Prêle est sobre au micro, elle indique les titres des morceaux, comme une direction, comme une suggestion. Après « Entre nuit », « Premiers pas » sonne enfance, marche dans les sentiers, l’un derrière l’autre, comme on en voit dans des films, des personnages au loin qui avancent et papotent, on ne sait pas de quoi, on ne les connaît pas, on les attend. De fragile et guillerette, la musique prend de l’épaisseur, nourrie par des solos pleins de verve et voilà, l’ensemble, à nos côtés. Alors, je perçois que les histoires avancent en rebondissant. La musique est écrite, les solistes prennent tour à tour la parole, c’est habituel, et pourtant, les mélodies dérivent, découvrent de nouveaux chemins où nous nous sentons curieux et séduits. Comme dans un rêve où les images s’enchaînent selon une logique émotionnelle, la musique, très narrative, suggère, invite à se construire ses propres histoires.
Le morceau s’appelle Cimes. Sur mon calepin, spontanément j’écris Sim, Sim Copans : je ne savais pas que je pensais à lui, à l’histoire de ce festival. Il est présent donc, encore, et lie Souillac au jazz. Je me rends compte que le concert me révèle ce qui dort dans mon esprit. Je me tiens en alerte.
Quand la lumière s’estompe, les cinq musiciens ont pris leurs aises et les solos sont devenus hardis, longs et audacieux. Les spectateurs sont tendus à leur tour, tendus vers une écoute totale, pour ne pas perdre une note, pour agiter du fond de leur mémoire émotionnelle des images prêtes à s’éveiller. Ils sont en condition de poésie. « L’Autopsie de la feuille morte », qui commence par un texte lu où se raconte l’inconnu de la vie de la feuille morte (« on ne connaît pas la vie d’une feuille morte »), joue des contrastes. La sonnerie des cloches de l’église s’en mêle. Puis, une première suggestion, feutrée, un peu grave, assourdie est démentie par une rythmique répétitive et entêtante sur laquelle va se greffer une chansonnette, une presque ritournelle, que démentent des solos compacts, inventifs, pleins de fantaisie.
La nuit profite de la pause buvette pour tomber.
Les chaises se remplissent à nouveau, on ne part pas, on est tenu en haleine, en attente. Le second set est plus libre, les solistes prennent leur plaisir, ils se révèlent de grands artistes, au sein d’une musique délicate et poétique. Qu’ils osent des bruitages ou développent de longs propos, ils fondent leur énergie dans des compositions subtiles et expressives. Un gros matou, qui n’a peur de rien, visite la campagne : bruitages, évocations concrètes des déplacements félins créent le décor puis vient le temps de la rencontre, rebondissement collectif vers d’autres scénarios, sans perdre le fil.
Cavale pioche aussi dans le folklore, avec une bourrée décidément jazz, dans la valse musette, dans la farandole, dans la répétition obsédante…
Les mélodies étonnent et charment, la force des solos laisse pantois.
Suivre Cavale, vers nos ailleurs, dans les replis secrets de nos poésies mêlées.
Marie-Françoise
Cavale est un groupe originaire de Perpignan, composé de Prêle Abelanet à l'accordéon et aux compositions, Alexis Lenoir aux saxophones, Arne Werninck à la trompette, Pierre Baradel à la batterie, Olivier Chevoppe à la contrebasse