18 juillet 2018


Grottes de Lacave, concert du duo Olivier Py (saxophones) et Alioune Koné (koras), 18 juillet 2018
« Un lieu de poésie », dit doucement Olivier Py dans le train qui le conduit sous la terre dans la grande grotte. « Une cathédrale naturelle », ajoute-t-il. Délicatesse et poésie sont les invitées. Sur la scène, les instruments ajoutent au décor minéral leur prestance, leur présence. Deux koras, une grande et une plus petite, deux saxophones, un soprano et un ténor, deux complices échangeant poignée de mains et regards, écoute et respiration. Les instruments de bois et de métal, aux couleurs ocre, beige et grise de la grotte, attendent  au cœur d’un espace minéral, dans un temps suspendu comme les spectateurs curieux si nombreux ce soir. 
Les doigts d’Alioune Koné courent sur les cordes, la mélodie se propage en volutes qui se nichent dans les oreilles, enveloppent les spectateurs, s’élèvent dans les hauteurs de la voûte, se glissent dans les plis de la roche. Le souffle du saxophone attrape les notes, les rejoue, plus graves, plus longues. Des motifs répétés ponctués d’improvisations tissent les morceaux, toujours longs.
La kora paraît un ventre d’où naissent les notes, ventre rond, tandis que le saxophone est le poumon, qui donne la vie par l’air et le vent. Lors de la balance, les musiciens ont testé les effets de l’écho. Ils en jouent maintenant et le son vient du ciel de pierre. Alioune Koné poudre ses mains, ses cordes et le bois au talc, tout est humide, il réaccorde les koras à chaque morceau. Olivier Py est totalement absorbé par son jeu : son instrument aussi subit les effets du froid et de l’humidité, mais l’effort technique passe inaperçu si ce n’est une concentration extrême. Les mélodies dansantes succèdent aux récits des griots : la kora est un instrument traditionnel des griots d’Afrique de l’ouest. Mais le musicien bambara-montpelliérain l’a modifiée à l’image de sa double culture. Ses deux koras sont chromatiques et il peut ainsi aisément changer de tonalité en levant ou abaissant des petits clapets situés sous les clés. Il a, en outre, ajouté deux cordes pour les basses. Alioune Koné donne toutes ses explications, tout simplement ; d’ailleurs il prend volontiers le public à témoin des effets blanchissant du talc. Public qui participe sans se faire prier, répondant aux sollicitations venues de la scène. La musique africaine est là, le son si particulier de la harpe africaine les convoque dans notre imaginaire mais aussi celui du clavecin et de la harpe classique.
L’esthétique de la musique répond à celle de la grotte. Des déroulés se plissent, des phrasés se fragmentent, dans les arrondis mélodiques se faufilent des aspérités qui, dans leurs développements, deviennent blocs de sons, nouvel air, majestueux. La kora lance un chant, qu’elle prolonge en mi-teinte, pour donner au saxophone le relief de l’improvisation. Le souffle dans le tuyau du saxophone accompagne et soutient les envolées lyriques des cordes pincées et des bois frappés. Ça danse et ça claque. Les musiciens ont composé ensemble tous les morceaux entendus sauf une interprétation très poétique de My Favorite Things, de la comédie musicale La mélodie du bonheur, un des morceaux préférés de John Coltrane dont il avait enregistré une interprétation mythique dans les années 1960. Enfin, un grand moment d’improvisation, libre mouvement de mélodies, qui, heurtant les parois de pierre, reviennent d’on ne sait où, des failles ou des blocs, de l’eau du lac, laisse planer un tournoiement de poésie. 
Marie-Françoise Govin
dessins Pascale Merono