23 décembre 2017

Chat qui rit taquine



Charivari - Le Taquin, Toulouse - 20 décembre 2017
Un plateau de treize musiciens c’est un grand orchestre, ou presque. Au Taquin, un soir de défis : treize musiciens qui n’ont pas l’habitude de jouer ensemble concoctent en une journée de répétition un concert unique sur une scène de 3m sur 4m environ où il faudra caser, entre autres, deux batteries et un vibraphone. Ajoutons la table de l’émission Pas plus haut que le bord (Radio Campus) et ses sept intervenants. Un défi spatio-musical. Il y a du monde, on se trouve, on se retrouve mais surtout on fait connaissance. Là est sans doute l’enjeu de l’opération : se connaître pour mieux s’entraider à propulser le jazz auprès des publics et pour le plaisir de jouer ensemble. Le réseau Occijazz est à l’origine de cette rencontre entre des musiciens des ex-régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ; le saxophoniste Ferdinand Doumerc et le batteur Arnaud LeMeur ont pris en main la coordination.
Les oreilles sous leurs casques, les joyeux drilles de Pas plus haut que le bord, avec leur humour acide et sans concession, avec la poésie du troubadour Marc Oriol aussi, donnent au Taquin un air d’impertinence et de fantaisie. Les intermèdes musicaux, duo épuré ou hymne que nous pourrions reprendre en chœur, sans doute le poing levé, écorchent aussi les conventions.
Pendant ce temps, la curiosité me tenaille, le suspense monte et les voilà, tous les treize à leurs instruments. Pour entrer dans le concert, la clarinette basse et la flûte créent un tunnel sonore aux sons claqués, un  peu étranges qui nous conduisent à une histoire – je me sens emportée avec Alice vers je ne sais quel pays. Sur un fond répétitif, obsessionnel les souffleurs se déclarent, appellent à une réunion commune. Un grand emballement de tout l’orchestre par un rassemblement de voix multiples confirme le merveilleux, comme dans un conte.
Accordéon, flûte. Klaxon bloqué, quelques oiseaux, un nouveau paysage émerge, comme un long plan séquence d’où petit à petit se dégagent des détails, des dérives, des décalages. Au cœur de longs sons étirés se glissent avec délice trompette, clarinette basse, guitares, batteries, claviers. Ce qui pouvait faire doute devient certitude : ils créent ensemble, les propositions de chacun font sens, font rêve, font musique.
Suit une chanson grave, comme une danse qui s’égarerait dans des dissonances, puis accélèrerait sous les impulsions de plus en plus rapides données par des batteries que rien n’arrêtera. Alors des solos creusent le lit de la poésie, comme l’eau d’un fleuve, puissante et immuable.
Puis, comme dans un tableau impressionniste, de petites touches de couleurs construisent un paysage paisible et habité. Reste à l’imagination de chacun le loisir de se promener sur le dos d’un cheval au galop ou de rêvasser dans une verte campagne. Puis la musique prend le pas sur les images, l’espace se remplit tout entier et vibre.
Je suis bluffée : Arnaud LeMeur l’a dit à la radio, ils se sont trouvés cet après-midi autour de morceaux envoyés au préalable. Mais comment créent-ils cet ensemble? lever une main ou carrément, comme Ferdinand Doumerc, prendre la direction de l’orchestre. On est bien loin du traditionnel big band où des solos succèdent au thème. Solistes ils le sont aussi et leurs phrases personnelles abritent la poésie, une poésie folle dingue, nourrie d’explorations de contrées intimes, qui résonne puissamment dans nos oreilles et nos tripes.
Et puis, il faut quand même s’amuser un peu et le dernier morceau est un grand moment ludique. On se détend, on se fait des farces à coups de discordances, comme des enfants bavards qui ne veulent pas se taire. Avant d’étonner avec un hymne à l’exploration musicale collective. 
Marie-Françoise - photos Jean-Paul Gambier
Nicolas Algans, trompette ; Florian Demonsant, accordéon ; Ferdinand Doumerc, saxophones ; Dorian Dutech, guitare ; Denis Fournier, batterie ; Clara Gaudré, saxophone ; 
Etienne Lecomte, flûtes ; Arnaud LeMeur, batterie ; Etienne Manchon, clavier ; Samuel Mastorakis, vibraphone ; Laurent Rochelle, saxophone et clarinette basse ; Jean-Marc  Serpin, contrebasse ; Patrice Soletti, guitare. Et Loris Pertoldi a assuré la sono.
Souillac en jazz est membre actif d'Occijazz, réseau jazz en Occitanie.