Le conteur de la Dordogne
Le conteur Clément Bouscarel a participé cette année à la randonnée jazz, charmant au cours de trois pauses les randonneurs et spectateurs. Il avait répondu la veille aux questions de deux bénévoles du festival.
Pouvez-vous nous
dire comment vous êtes devenu conteur ?
Ce n’est pas moi qui suis allé
au conte, c’est le conte qui m’a « inondé ». Je suis d’une famille
rurale où se racontaient des histoires. Mes histoires me viennent de mon
grand-père et de mon grand-oncle. En fait, je n’ai jamais voulu être conteur.
J’ai fait des études sur l’environnement, pour travailler près de la nature. Ça
s’est fait un peu par hasard : je travaille dans un village de vacances, à
Turenne et un jour, on m’a demandé d’assurer des veillées. J’ai accepté et j’ai
commencé à raconter des histoires du Quercy, celles de mon grand-père et mon
grand-oncle. Le public, qui n’était pas constitué de gens du coin, a énormément
apprécié ces histoires et voilà comment ça a commencé. Je était évident que le
conte touche tout le monde parce qu’il est universel : il raconte une
histoire et aussi une histoire de la langue. Si la chanson est quercynoise, la
structure, la colonne vertébrale, l’essence de la légende sont universelles.
Établissez-vous
un lien entre le conte et le jazz ?
Oui, bien sûr. Une histoire
c’est une musique, et un morceau de musique c’est une histoire. Un musicien s’exprime
son ressenti, son vécu avec des notes et un conteur le fait pareil avec
des mots. C’est seulement une question de langages différents.
Pensez-vous que,
comme le conte, la musique soit narrative ?
Oui, toujours. Le musicien
fait passer ce qu’il vit sur le moment, il joue avec son vécu, son oreille, ce
qu’il a au fond de lui : c’est déjà une histoire - son histoire - et c’est
une langue. Pour moi, n’importe quelle musique est une histoire et je la reçois
comme ça même lorsqu’elle paraît déstructurée. D’ailleurs, le conte n’est pas
forcément structuré comme une narration classique, avec un début, un milieu et
une fin.
Moi, j’ai mon instrument de
musique qui est ma voix et j’ai quelques notes que j’utilise avec mon
corps ; mon esprit peut se libérer et donner des histoires. Alors, le
conte est vraiment de la musique. N’importe quelle musique me raconte une
histoire. Il y a des gens qui racontent en peignant, d’autres qui racontent en
dessinant, d’autres en faisant de la danse. L’art sert à exprimer quelque chose,
et je vois dans l’art la manière de raconter des histoires.
Un conte et une histoire, est-ce que ce sont deux mêmes choses ?
Pour moi oui. L’essence même
du conteur est un des plus vieux statuts (je ne veux pas dire métier parce que
conter n’est pas seulement un métier) des sociétés depuis que l’homme a maîtrisé
le feu. Quand l’homme a pu maîtriser le feu et la lumière, alors l’art a eu sa
place.
On ne peut pas faire la
différence entre les contes et les histoires : le conte naît des histoires
et les histoires naissent des contes. Je veux quand même dire que les contes
ont un fond récurrent universel. Il y a plusieurs manières de conter et il y a
des signatures. Prenez par exemple les contes de Nasreddine, ce sont des contes
très courts qui sont très percutants. On prend une très grande claque quand on
écoute de petites histoires de Nasreddine parce qu’elles sont extrêmement
profondes. Mais n’importe qui peut être conteur parce qu’il peut raconter
sa vie ou raconter la vie de quelqu’un d’autre. Un récit de vie, pour moi c’est
du conte.
Avant tout, le conte, pour
moi, c’est un voyage. Et c’est pour ça que la musique, un conte, un tableau,
regarder une chorégraphie de danse, n’importe quel art, c’est un voyage. Chacun
a une sensibilité, une émotion qui lui permet de partir et de voyager avec un
artiste quel qu’il soit.
Est-ce que vous
voulez dire que, parce qu’il est structuré, le conte permet d’improviser ?
Oui, ce n’est pas par hasard que de vieux contes qu’on
connaît tous, Blancheneige, Cendrillon, ont traversé les siècles. C’est parce
qu’ils sont très structurés. Il y a la colonne vertébrale et après on nourrit
l’histoire à son idée.
Donc le conte,
comme le jazz, utilise l’improvisation ?
Mais bien sûr, le conte ce n’est
que de l’improvisation. En tout cas dans ma manière de conter. J’ai reçu le
conte et je suis peut-être un des derniers à le transmettre de cette manière
dans cette région : normalement les histoires voyagent dans le temps par
le bouche-à-oreilles. Mais aujourd’hui, quand je demande au public : « si
vous voulez des histoires où allez-vous les chercher ? » la réponse
est : « dans les livres ». Mais pour aller chercher des
histoires dans un livre, il faut savoir lire et écrire. Je pense que ce n’est
pas comme ça que voyagent les histoires : elles circulent de génération en
génération. Ainsi se transmet une structure de l’histoire et le conteur la met
à sa sauce.
Dans votre répertoire, il y a les histoires que vous ont transmises vos
grands-parents. Y en a-t-il qui vous sont propres ?
Aujourd’hui, il y a des histoires que je travaille, qui
me sont propres. Il y a aussi des histoires que j’ai prises à droite à gauche
mais la façon de conter, c’est mon grand-oncle et mon grand-père qui m’ont
transmis et ils l’avaient reçue quand ils étaient petits. Certains conteurs apprennent
un texte… il y a même des conteurs où il y a un éclairage, une mise en scène.
Moi je suis plus dans l’échange direct et une grande proximité avec le public.
D’où vous viennent
les idées ?
Quand je la reçois une
histoire, même toute petite, si elle me touche, peut être travaillée et
rejoindre mon répertoire. Une anecdote de trente secondes que quelqu’un me
raconte à la fin d’un spectacle, je la transforme en une histoire d’un quart
d’heure ou vingt minutes. Et c’est un échange énorme avec le public. Un certain
nombre d’histoires de mon répertoire sont nées de ce que des gens m’ont raconté
à la fin de spectacles.
La base de mon répertoire est
de famille. Mon histoire sur la chasse volante, - ce sont des nuages noirs qui
avancent dans le ciel, poussé par un vent qui fait un tel bruit qu’on croirait
que ce sont des chiens qui mènent dans le ciel, (en gros c’est la mort qui
vient sur terre) - est une histoire qui m’a été racontée à la fin d’un
spectacle. Elle m’a touché et j’en ai fait tout un conte.
Vous allez
participer à un événement du festival de jazz : la randonnée jazz
contée ? Comment l’envisagez-vous ?
C’est une première non ?
Combiner le temps de conte avec un temps de musique, c’est compliqué. Il y a
une différence entre le conte et la musique : le conte a besoin de toute
l’attention des spectateurs parce qu’il y a les mots. Il y aura des pauses
spécifiques pour le conte.
Comment allez-vous
procéder? vous allez raconter un conte et ensuite, les musiciens vont
jouer ?
Oui il y aura quatre stations.
Mais ce ne sera pas quatre histoires. Lors de la première station, j’ai envie
de parler de la rivière, simplement : ce qu’elle est, pourquoi on est là,
son parcours, sa nature, son caractère. Et après ce seront des histoires.
Vous savez déjà
lesquelles ?
Une oui et après non.
Vous racontez
souvent ?
Oui, de plus en plus. Il y a
de plus en plus de gens qui me sollicitent et ça me fait plaisir. Pour moi d’abord.
Et ensuite, ça me fait plaisir de voir que les gens s’intéressent encore aux histoires
et qu’ils sont sensibles au patrimoine qu’on a ici. Ça me fait plaisir que les
gens aient envie d’écouter, au lieu de regarder la télé… je suis intimement
convaincu qu’on ne pourra jamais remplacer quelqu’un qui raconte une histoire.
Pouvez-vous nous
parler du plaisir du conteur au moment du conte ?
Le plaisir vient des échanges :
je suis très très très content de raconter mes histoires, enfin nos histoires
parce qu’elles appartiennent à tout le monde. Ce sont des histoires importantes
pour tout un peuple. Ce que le public va donner, c’est très très fort. Le
plaisir des mots, de la langue et le plaisir des gens constituent le plaisir de
conter. Dans une salle où il n’y a pas un bruit, où on entendrait pas une
mouche voler, où on sent un public extrêmement présent, et qui ne demande
qu’une chose c’est de manger le mot qui va sortir de la bouche, il se passe
quelque chose d’extraordinaire.
Et le plaisir des
mots ?
C’est un peu ma signature. Je
vais assaisonner mes histoires de mots occitans. Les histoires m’ont été
racontées en occitan quand j’étais petit. C’est une langue que j’essaie de
sauvegarder, de faire vivre et quand je parle des plaisirs des mots, c’est
souvent dans cette langue que je savoure.
C’est une langue extrêmement imagée, chantante. Je me
plais à mettre ces mots et là où je me plais encore plus, c’est que je ne
traduis pas et que les gens comprennent.
Il est délétère pour une
langue d’essayer de la traduire. Vivre le mot, l’imaginer, lui donner un sens,
c’est beaucoup plus riche que le traduire. Il est évident que le son du mot met
dans la tête des images. La langue est le liant de toute une culture, d’un
peuple. C’est très important de faire vivre une langue parce que elle est une
façon de penser.
A la fin d’un spectacle, une dame m’a dit :
« Merci beaucoup, j’ai voyagé toute la soirée. » Ça me touche énormément.
Comme ceux qui me disent : « On oubliait presque que vous étiez
là. » Ça veut dire que c’est pas moi, que c’est l’histoire qui a envoûté
les spectateurs et que j’ai construit le décor avec mes mots.
Vous ne comptez pas
sur la mise en scène ?
Je fais totalement confiance à mes histoires. Moi pour la
mise en scène est très simple : j’ai un banc d’où je raconte. Je raconte
bien quand les gens sont proches. Pour moi raconter une histoire c’est très
intime, c’est une partie de soi qu’on donne.
Interview accordée par Clément Bouscarel à Marie-Françoise
Govin et Eve Mazet le 18 juillet 2014
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