Des nouvelles de Youn Sun Nah
Youn Sun Nah a très gentiment répondu à nos questions :
Votre album Lento est souvent considéré comme le troisième
volet d’une trilogie.
J’ai fait huit albums et il y a des albums qui sont uniquement
sortis en Asie et des albums qui sont sortis en France ou en Europe. Mais
depuis que je suis chez Act, un label allemand, je joue toujours avec les mêmes
musiciens, il y a toujours Ulf Wakenius, un guitariste suédois et un bassiste
suédois. On avait enregistré à Götteborg en Suède avec un percussionniste français.
Comme j’ai, un peu par hasard, travaillé avec les mêmes musiciens sur trois
albums de suite, les gens ont appelé ça la trilogie. Souvent on change de
musiciens, quand on change de projet, mais je voulais garder les musiciens. Il
y a une sorte de permanence : mêmes musiciens, même studio
d’enregistrement, même équipe. Le prochain album, je ne sais pas comment ça va
être.
Que signifie pour
vous que cet album soit la meilleure vente des cd de jazz ?
J’ai beaucoup de chance. Je ne m’imaginais pas du tout me
retrouver là. Je dois beaucoup à la France, aux gens. Ils me donnent beaucoup
d’amour ; du coup j’essaie de donner le maximum possible. Je pense que ce
sont plutôt les gens qui viennent me voir qui achètent l’album.
Dans ce projet, Lento, que vous allez jouer à Souillac, vous avez
glissé des compositeurs que nous n’aurions peut-être pas attendus :
Scriabine, Tom Waits. Votre album est très éclectique.
Quand j’enregistre un album, je n’ai pas vraiment de
concept ; j’enregistre les morceaux que je compose à ce moment-là et je
demande aussi aux musiciens de composer pour moi. C’est toujours sur le moment. J’essaie de ne pas me limiter dans un registre spécial et ce que j’aime dans le
jazz, c’est qu’il est éclectique. Tout devient jazz aussi. Les musiciens avec
qui je joue sont assez ouverts. Quand ils m’ont proposé par exemple Enter Sandman de Metallica, je n’avais
jamais pu imaginer qu’un jour je chanterais Metallica. Ils m’ont appris que
tout est possible. Et puis, j’essaie de chanter des choses qui me plaisent. J’ai
commencé le jazz assez tardivement. J’ai appris à l’école, et avec des
musiciens, que le jazz n’est pas juste une couleur, c’est un tout. J’ai gardé
ça dans ma tête. Quand je suis arrivée en France, je n’avais aucune notion de
jazz. Je n’ai pas vraiment la culture de jazz : je ne suis pas née aux États-Unis ;
je n’avais jamais écouté de jazz jusqu’à l’âge de 25 ans. C’est comme apprendre
un alphabet de A à Z - et Z c’est encore loin. C’est peut-être pour ça que
j’arrive à oser faire ça. Si j’avais un stéréotype de jazz dans ma tête, je
n’oserais pas. Je pense que c’est le jazz actuel. Je joue avec un
musicien suédois qui a joué avec Oscar Peterson, avec des musiciens du mainstream et ce qu’il joue est très
ouvert. Vincent Peirani, l’accordéoniste, joue de tout, de la musique
contemporaine et classique, du jazz, de la world et du flamenco. Je crois que
ce qui me caractérise c’est que je suis curieuse.
Votre voix sait
toujours surprendre, émouvoir. Pouvez-vous parler de votre voix ?
La voix je pense que ça vient de mes parents et mes
grands parents. Mes parents sont musiciens et j’ai écouté beaucoup de musique
depuis que je suis toute petite. Ils chantent vraiment très très bien, j’ai hérité
un peu de ça. Après, j’essaie des trucs avec la voix parce que je veux
reproduire le son que j’entends. Par exemple pourquoi est-ce qu’on chante
toujours en soufflant ? pourquoi est ce qu’on ne peut pas chanter en
inspirant ? il y a une tribu pygmée qui chante en inspirant. (Youn Sun Nah montre comment chanter en
inspirant) J’essaie de jouer avec la voix, voir ce que je peux faire. On
pense souvent que la voix c’est un outil pour communiquer et en même temps
chanter. C’est un instrument à part parce que chaque personne a une voix
différente. C’est un instrument magnifique. Je pense qu’on a oublié mais avant
qu’il y ait une communication en langues en paroles, je pense qu’on a
communiqué avec des sons. Et c’est ce que je veux : j’essaie d’imiter ou
aller jusqu’où je peux aller. Des fois ça marche, des fois ça marche pas.
Et le travail de la
voix ?
Je travaille un peu tous les jours et comme je chante
presque tous les soirs, je travaille sur scène aussi.
Vos
musiciens : pourquoi Ulf Wakenius, Vincent Peirani, Simon Tailleu ?
Ulf, je l’ai rencontré il y a sept ans. Je faisais une série
de concerts en Corée dans un tout petit théâtre. Je voulais chanter juste avec
un guitariste et j’ai fait un mail à Ulf. On avait un ami en commun mais je ne
le connaissais pas bien. Je connaissais un peu sa musique. Je lui ai demandé si
ça l’intéressait de jouer avec moi, il a dit ‘’ok’’. Il devait venir deux jours
avant le concert pour répéter mais en Suède il y a beaucoup de tempêtes. Il n’y
a pas eu d’avion et il est arrivé la veille. C’était stress stress. Mais lors
du premier concert, c’était comme si on se connaissait depuis dix ans. C’est
parce que c’est un très très bon musicien et il s’adapte à toutes les
situations. Quand je joue avec lui, j’ai l’impression que je suis sur un tapis volant.
On a fait trois concerts d’affilée dans ce théâtre. Après le dernier concert,
il m’a dit : ‘’il faut que je te parle’’ et j’ai pensé ‘’peut-être qu’il n’est
pas content’’. Il m’a dit : ‘’il faut qu’on enregistre un album’’ ;
j’étais un peu flattée. C’est comme ça qu’on a enregistré Voyage, le premier album chez Act. Vincent, je le connais depuis plus de dix ans. J’avais un
quintet et le pianiste n’était pas disponible. Alors j’ai fait appel à Vincent :
je voulais travailler avec un accordéoniste. Ensuite, je l’ai invité à jouer
dans un album que j’ai produit en Corée. Puis on s’est perdu de vue. Il y a un
peu plus de deux ans, je devais faire un concert en duo à l’Alhambra à Paris et
j’ai eu l’idée d’inviter Vincent. On a joué ensemble en trio, ça s’est très
bien passé. Ce jour-là, il y avait le directeur du label Act : il a signé
aussi Vincent. Et Simon Tailleu, le bassiste qui a fait ses études au
CNSM à Paris, joue très très bien. Lui et Vincent sont copains. Vincent m’a
conseillé Simon.
Vous chantez le
plus souvent en anglais et parfois en coréen ou en français. Pourquoi
l’anglais ?
En jazz, la plupart des morceaux sont en anglais. En
outre, c’est plus facile pour les gens, ils comprennent. Je chante aussi en français
et les gens adorent.
Le jazz et la Corée,
le jazz et l’Asie ?
On n’a pas une histoire très longue avec le jazz par
rapport à l’Europe et les États-Unis. Ça fait à peu près une vingtaine
d’années que le jazz existe en Corée. Il n’ y avait pas beaucoup de gens qui
jouaient du jazz. Il n’y a pas vraiment un marché comme en France. Mais ça
commence : on a de plus en plus de musiciens qui étudient à l’étranger. Ils
rentrent et ils enseignent. On a de plus en plus de musique de jazz. Ce n’est
pas vraiment une musique commerciale et populaire mais c’est une musique qui ne
vieillit jamais, qui voyage partout. Quand je joue en Asie il y a toujours des musiciens
de jazz ; des fois je joue avec des musiciens coréens. Je veux présenter
les musiciens étrangers en Corée. Parfois aussi, je joue avec des musiciens
traditionnels coréens.
Quelles sont les
chanteuses que vous aimez, que vous avez plaisir à écouter, qui vous apportent
de l’émotion ?
C’est difficile de citer quelques noms. Ce qui est
exceptionnel avec la voix, c’est que tout le monde peut chanter avec son propre
instrument. Quand j’écoute les chanteuses de rock, de jazz, je prends autant de
plaisir. Bien sûr Ella Fitzgerald et Billie Holiday et toutes les légendes des
voix du jazz, je m’en lasse pas du tout. J’écoute aussi les chanteurs et chanteuses
de pop. Je pense que c’est un instrument très abordable et tout le monde peut
être touché très vite, même si on ne comprend pas la langue. Quand je vois des étrangers
qui viennent en Corée, je suis surprise qu’ils aiment les chants traditionnels
coréens. Quand j’entends quelqu’un qui n’a jamais chanté le jazz
et qui chante un standard, je me rappelle l’année où j’ai enseigné en France au
CIM. Il y avait une chanteuse qui swinguait comme pas possible. Je lui ai
demandé : ‘’pourquoi es-tu là ? tu n’as rien à apprendre’’. Elle
était toute timide… et extraordinaire.
À Souillac
vous allez chanter sur une place, devant une majestueuse abbaye romane. Le lieu
a-t-il une importance pour vous ?
Chaque lieu a un esprit. Quand on a joué à Paimpol, on a
ressenti ça : on est plus proche de la nature même si c’est un endroit
construit. On sent tout de suite l’histoire ; je sens une énergie plus
forte. Quand on est sur scène, on sait des choses : je peux savoir un
petit peu si ça va bien se passer ou pas. Avec les gens, il y a une énergie qui
circule. Et une abbaye je perçois des choses, de l’énergie, c’est très physique.
Merci beaucoup.
Propos recueillis le 24 mars 2014
Youn Sun Nah sera en concert place Pierre Betz à Souillac, samedi 26 juillet 2014 à 21h15
Youn Sun Nah sera en concert place Pierre Betz à Souillac, samedi 26 juillet 2014 à 21h15
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