25 juillet 2014

Des nouvelles de Youn Sun Nah


Youn Sun Nah a très gentiment répondu à nos questions :
Votre album Lento est souvent considéré comme le troisième volet d’une trilogie.
J’ai fait huit albums et il y a des albums qui sont uniquement sortis en Asie et des albums qui sont sortis en France ou en Europe. Mais depuis que je suis chez Act, un label allemand, je joue toujours avec les mêmes musiciens, il y a toujours Ulf Wakenius, un guitariste suédois et un bassiste suédois. On avait enregistré à Götteborg en Suède avec un percussionniste français. Comme j’ai, un peu par hasard, travaillé avec les mêmes musiciens sur trois albums de suite, les gens ont appelé ça la trilogie. Souvent on change de musiciens, quand on change de projet, mais je voulais garder les musiciens. Il y a une sorte de permanence : mêmes musiciens, même studio d’enregistrement, même équipe. Le prochain album, je ne sais pas comment ça va être.
Que signifie pour vous que cet album soit la meilleure vente des cd de jazz ?
J’ai beaucoup de chance. Je ne m’imaginais pas du tout me retrouver là. Je dois beaucoup à la France, aux gens. Ils me donnent beaucoup d’amour ; du coup j’essaie de donner le maximum possible. Je pense que ce sont plutôt les gens qui viennent me voir qui achètent l’album.
Dans ce projet, Lento, que vous allez jouer à Souillac, vous avez glissé des compositeurs que nous n’aurions peut-être pas attendus : Scriabine, Tom Waits. Votre album est très éclectique.
Quand j’enregistre un album, je n’ai pas vraiment de concept ; j’enregistre les morceaux que je compose à ce moment-là et je demande aussi aux musiciens de composer pour moi. C’est toujours sur le moment. J’essaie de ne pas me limiter dans un registre spécial et ce que j’aime dans le jazz, c’est qu’il est éclectique. Tout devient jazz aussi. Les musiciens avec qui je joue sont assez ouverts. Quand ils m’ont proposé par exemple Enter Sandman de Metallica, je n’avais jamais pu imaginer qu’un jour je chanterais Metallica. Ils m’ont appris que tout est possible. Et puis, j’essaie de chanter des choses qui me plaisent. J’ai commencé le jazz assez tardivement. J’ai appris à l’école, et avec des musiciens, que le jazz n’est pas juste une couleur, c’est un tout. J’ai gardé ça dans ma tête. Quand je suis arrivée en France, je n’avais aucune notion de jazz. Je n’ai pas vraiment la culture de jazz : je ne suis pas née aux États-Unis ; je n’avais jamais écouté de jazz jusqu’à l’âge de 25 ans. C’est comme apprendre un alphabet de A à Z - et Z c’est encore loin. C’est peut-être pour ça que j’arrive à oser faire ça. Si j’avais un stéréotype de jazz dans ma tête, je n’oserais pas. Je pense que c’est le jazz actuel. Je joue avec un musicien suédois qui a joué avec Oscar Peterson, avec des musiciens du mainstream et ce qu’il joue est très ouvert. Vincent Peirani, l’accordéoniste, joue de tout, de la musique contemporaine et classique, du jazz, de la world et du flamenco. Je crois que ce qui me caractérise c’est que je suis curieuse.
Votre voix sait toujours surprendre, émouvoir. Pouvez-vous parler de votre voix ?
La voix je pense que ça vient de mes parents et mes grands parents. Mes parents sont musiciens et j’ai écouté beaucoup de musique depuis que je suis toute petite. Ils chantent vraiment très très bien, j’ai hérité un peu de ça. Après, j’essaie des trucs avec la voix parce que je veux reproduire le son que j’entends. Par exemple pourquoi est-ce qu’on chante toujours en soufflant ? pourquoi est ce qu’on ne peut pas chanter en inspirant ? il y a une tribu pygmée qui chante en inspirant. (Youn Sun Nah montre comment chanter en inspirant) J’essaie de jouer avec la voix, voir ce que je peux faire. On pense souvent que la voix c’est un outil pour communiquer et en même temps chanter. C’est un instrument à part parce que chaque personne a une voix différente. C’est un instrument magnifique. Je pense qu’on a oublié mais avant qu’il y ait une communication en langues en paroles, je pense qu’on a communiqué avec des sons. Et c’est ce que je veux : j’essaie d’imiter ou aller jusqu’où je peux aller. Des fois ça marche, des fois ça marche pas.
Et le travail de la voix ?
Je travaille un peu tous les jours et comme je chante presque tous les soirs, je travaille sur scène aussi.
Vos musiciens : pourquoi Ulf Wakenius, Vincent Peirani, Simon Tailleu ?
Ulf, je l’ai rencontré il y a sept ans. Je faisais une série de concerts en Corée dans un tout petit théâtre. Je voulais chanter juste avec un guitariste et j’ai fait un mail à Ulf. On avait un ami en commun mais je ne le connaissais pas bien. Je connaissais un peu sa musique. Je lui ai demandé si ça l’intéressait de jouer avec moi, il a dit ‘’ok’’. Il devait venir deux jours avant le concert pour répéter mais en Suède il y a beaucoup de tempêtes. Il n’y a pas eu d’avion et il est arrivé la veille. C’était stress stress. Mais lors du premier concert, c’était comme si on se connaissait depuis dix ans. C’est parce que c’est un très très bon musicien et il s’adapte à toutes les situations. Quand je joue avec lui, j’ai l’impression que je suis sur un tapis volant. On a fait trois concerts d’affilée dans ce théâtre. Après le dernier concert, il m’a dit : ‘’il faut que je te parle’’ et j’ai pensé ‘’peut-être qu’il n’est pas content’’. Il m’a dit : ‘’il faut qu’on enregistre un album’’ ; j’étais un peu flattée. C’est comme ça qu’on a enregistré Voyage, le premier album chez Act. Vincent, je le connais depuis plus de dix ans. J’avais un quintet et le pianiste n’était pas disponible. Alors j’ai fait appel à Vincent : je voulais travailler avec un accordéoniste. Ensuite, je l’ai invité à jouer dans un album que j’ai produit en Corée. Puis on s’est perdu de vue. Il y a un peu plus de deux ans, je devais faire un concert en duo à l’Alhambra à Paris et j’ai eu l’idée d’inviter Vincent. On a joué ensemble en trio, ça s’est très bien passé. Ce jour-là, il y avait le directeur du label Act : il a signé aussi Vincent. Et Simon Tailleu, le bassiste qui a fait ses études au CNSM à Paris, joue très très bien. Lui et Vincent sont copains. Vincent m’a conseillé Simon.
Vous chantez le plus souvent en anglais et parfois en coréen ou en français. Pourquoi l’anglais ?
En jazz, la plupart des morceaux sont en anglais. En outre, c’est plus facile pour les gens, ils comprennent. Je chante aussi en français et les gens adorent.
Le jazz et la Corée, le jazz et l’Asie ?
On n’a pas une histoire très longue avec le jazz par rapport à l’Europe et les États-Unis. Ça fait à peu près une vingtaine d’années que le jazz existe en Corée. Il n’ y avait pas beaucoup de gens qui jouaient du jazz. Il n’y a pas vraiment un marché comme en France. Mais ça commence : on a de plus en plus de musiciens qui étudient à l’étranger. Ils rentrent et ils enseignent. On a de plus en plus de musique de jazz. Ce n’est pas vraiment une musique commerciale et populaire mais c’est une musique qui ne vieillit jamais, qui voyage partout. Quand je joue en Asie il y a toujours des musiciens de jazz ; des fois je joue avec des musiciens coréens. Je veux présenter les musiciens étrangers en Corée. Parfois aussi, je joue avec des musiciens traditionnels coréens.
Quelles sont les chanteuses que vous aimez, que vous avez plaisir à écouter, qui vous apportent de l’émotion ?
C’est difficile de citer quelques noms. Ce qui est exceptionnel avec la voix, c’est que tout le monde peut chanter avec son propre instrument. Quand j’écoute les chanteuses de rock, de jazz, je prends autant de plaisir. Bien sûr Ella Fitzgerald et Billie Holiday et toutes les légendes des voix du jazz, je m’en lasse pas du tout. J’écoute aussi les chanteurs et chanteuses de pop. Je pense que c’est un instrument très abordable et tout le monde peut être touché très vite, même si on ne comprend pas la langue. Quand je vois des étrangers qui viennent en Corée, je suis surprise qu’ils aiment les chants traditionnels coréens. Quand j’entends quelqu’un qui n’a jamais chanté le jazz et qui chante un standard, je me rappelle l’année où j’ai enseigné en France au CIM. Il y avait une chanteuse qui swinguait comme pas possible. Je lui ai demandé : ‘’pourquoi es-tu là ? tu n’as rien à apprendre’’. Elle était toute timide… et extraordinaire.
À Souillac vous allez chanter sur une place, devant une majestueuse abbaye romane. Le lieu a-t-il une importance pour vous ?
Chaque lieu a un esprit. Quand on a joué à Paimpol, on a ressenti ça : on est plus proche de la nature même si c’est un endroit construit. On sent tout de suite l’histoire ; je sens une énergie plus forte. Quand on est sur scène, on sait des choses : je peux savoir un petit peu si ça va bien se passer ou pas. Avec les gens, il y a une énergie qui circule. Et une abbaye je perçois des choses, de l’énergie, c’est très physique.
Merci beaucoup.
Propos recueillis le 24 mars 2014
Youn Sun Nah sera en concert place Pierre Betz à Souillac, samedi 26 juillet 2014 à 21h15