Les précieuses dissonances du Trio d'en bas
Avez-vous déjà vu et entendu le Trio d’en bas? J’ai déjà eu l’occasion de dire et de répéter tout l’émerveillement que leur musique procure. J’ai également dit que ses musiciens, poly-instrumentistes à l’imagination débordante, fourmillent d’idées et d’initiatives. Leur proposer de se produire dans une grotte ne pouvait qu’intéresser ces trois chercheurs de sons qui expérimentent et qui trouvent. Cette quête esthétique, ils la mènent avec l’idée que chaque instrument n’est peut-être pas assigné à une place déterminée mais que, au contraire, celle-ci est à rechercher tout le temps. C’est en tout cas ainsi qu’il faut envisager leurs prestations car c’est une démarche qu’ils pratiquent et qu’ils revendiquent. Mais voilà, le mot est lâché: expérimenter. Expérimenter suppose en effet que les spectateurs et les auditeurs font "naturellement" preuve d’une authentique sensibilité esthétique. Et puis, pour trouver il faut nécessairement chercher, ce qui n’est pas la moindre des qualités. Mais, au-delà de ces considérations de principe, le raccourci entre l’expérimentation et les oreilles cassées relève plus d’un a priori bien nourri. Car la "musique expérimentale" effraie facilement celles et ceux pour lesquels la dissonance est une injure. Le concert que le Trio d’en Bas a donné dans les grottes de Lacave, en ouverture de Souillac en Jazz 2013 en fut un illustre contre exemple. Il fut magnifique et les arrangements, amendés pour ce lieu unique, particulièrement pertinents. Arnaud Rouanet m’indiquait à cette occasion que le répertoire fut travaillé dans certaines églises du Lauragais pour l’adapter à la réverbération gutturale de la grotte.
Un petit clic sur la vidéo qui accompagne ce texte devrait convaincre tous ceux qui n’ont pas franchi le pas troglodyte. En témoigne ici leur réarrangement de Eliot Song pour l’adapter à un espace où la forte réverbération nécessite de composer avec les imbrications des sons entre eux. Sur les notes, en boucle, du métallophone, vient se greffer une très belle mélodie qui sonne comme une berceuse. Pour ce concert, elle est jouée, presque par bribes, au trombone par le batteur Yohan Scheidt puis rapidement doublée au saxophone par Arnaud Rouanet. Elle s’étire tandis que le piano de Samuel Bourille vient, tout en feutre, s’intégrer à cette magnificence de notes et de sons. Tout aussi délicatement, c’est au vibraphone que Yohan Scheidt (si, si, je vous dis qu’il est batteur!) vient relayer, dans un registre de musique répétitive, ces lancinantes voies musicales. Les notes du vibraphone, celles du piano, celles du métallophone s’imbriquent alors dans un délicat maelström, tandis que le sax décline une douce poésie. Ces nappes sonores qui emportent et transportent ne sont-elles pas une définition possible de la transe? Très subtilement, le trombone relaie les cheminements proposés par le sax. Cette fois, tous les autres instruments se sont tus. Dans ce tempo volontairement lent afin que la respiration puisse s’y déployer, il décline très librement cette transe. Petit à petit, ces notes et sons qui avaient installé les spectateurs dans ce moment de grâce reviennent, à pas de chat et, très progressivement, la mélodie du thème réapparaît. Il y a quelque chose d’évanescent dans cette progression, quelque chose de très délicat. C’est sur cette même mélodie que le morceau se termine, au bout de 12 minutes au trombone, au sax et dans un murmure collectif. Et puis, dans ce moment de respiration salvatrice, vient le silence. Quand les applaudissements le rompent, on se rend compte que nos bouches sont béantes. Le trio d’en bas venait d’expérimenter et nous, nous venions de savourer ces sons qui susurrent et ces très précieuses dissonances.
Gilles
2 Comments:
C'était un moment de grande musique. Je suis contente de me le rappeler de manière aussi précise avec cette vidéo.
je viens de visionner cette vidéo et me souviens avec beaucoup de force de ce concert dans les grottes. J'en ai frissonné une seconde fois.
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