14 août 2020

La Petite Fleur du parc

 

Marie la petite fleur a poussé et elle nous a offert un bouquet de chansons à la Béchet salle du Bellay mercredi 12 août 2020 à l’invitation de la Mairie de Souillac.

Mi conférence, mi concert, la Compagnie du Souffle aux Cordes proposait une soirée « racontage », un excellent mot de Marco banjoïste et guitariste rythmicien qui a échappé au coup de feu contrairement à Mike McKendrick le soir du 20 décembre 1928 qui envoya Sidney Béchet en taule, un autre métal que sa « carotte » comme on surnomme le saxophone soprano. Racontage de Marie Estrade de la vie du musicien qui lui, comme le disait Jean Cocteau, « ne bavardait pas, il parlait, et sa parole était toujours émouvante et puissante », comme sa musique. On se balade de 1919 à 1959. Le 1er octobre 19, il a tout juste 22 ans, le musicologue suisse Ernest Ansermet dans la Revue romande dit de lui : « il ne sait rien dire de son art, sauf qu’il suit son « own way », sa propre voie, et quand on pense que ce « own way » c’est peut-être la grande route où le monde s’engouffrera demain». On commence avec  Muskrat Ramble, qu’il enregistra pour la première fois le 11 novembre 1940 avec Professor Sidney Béchet with Doctor Henri Levine and his Barefooted Dixieland Philarmonic, qu’il joua régulièrement, thème de Kid Ory, à moins que ce soit de Louis Armstrong … Béchet quant à lui pense que c’est un vieux thème de Buddy Bolden "The Old Cow Died and the Old Man Cried", va savoir, tout ça c’est du racontage ! On continue avec Tiger Rag enregistré pour la première fois avec Duke Ellington and The Washingtonians fin 1924, Marie évoque Noble Sissle son premier grand orchestre … et moi Martial Solal avec qui il enregistra en 57 « Son jazz n'était pas le mien, mais, pour la paix musicale, nous avons mis en boîte un disque sympa en trois heures » se souvient le pianiste. S’il ne nous avait pas quitté si vite, auraient-ils faits route ensemble ? Je me souviens de la grande affiche dans la salle du fond du Grand Hôtel, la Revue Nègre, Béchet faisait partie des musiciens derrière celle qui allait devenir notre voisine, Joséphine Baker. Bien sûr Sidney Béchet ce sont Dans les Rues d’Antibes, Le Marchand de Poissons, Petite Fleur, As-tu le cafard ? en 49 et au début des années 50, Les Oignons vendus à plus d’un million d’exemplaires, son disque d’or lui fut remis le 19 octobre 55 après un concert gratuit qui tourna à l’émeute à l’Olympia, 2800 fauteuils, 3000 spectateurs dans la salle, autant dehors, 200 fauteuils cassés, 10 blessés,  de quoi faire pleurer Miles Davis qui ne savait pas que dix ans plus tard il enregistrerait Kind of Blue qui se vendrait à plus de 4 millions d’exemplaires. On n’oublie pas Blackstick chef d’œuvre béchetien magnifiquement interprété par le quartet comme Si tu vois ma mère que Woody Allen, par ailleurs clarinettiste a placé en début de son film Midnight in Paris en 2011.

                                         Blackstick par la Compagnie du souffle aux cordes

Bien sûr, il y avait le coronavirus, bien sûr il y avait la canicule, bien sûr il y avait l’orage, bien sûr il y avait le PSG à Lisbonne, bien sûr il y avait le masque, bien sûr ce sont les mêmes qui râlaient contre la suppression des manifestations culturelles depuis plusieurs mois qui n’étaient pas là … une trentaine de personnes, les zazous de mon quartier, pour évoquer celui que Duke Ellington qualifiait de « base », « tout ce qu’il jouait venait de l’âme, de l’intérieur ». Marie Estrade a su nous rappeler  que la « clarinette de Béchet avait une sonorité fantastique, robuste » comme le précisait le Duke en 62.

La voix, le saxophone, la clarinette étaient présentés dans un écrin de choix, la guitare solo de Philippe Pouchard, que le public saluait à chaque solo, et la rythmique hyper solide de Marc Estrade aux banjo et guitare et Jérôme Gast à la contrebasse et ce soir : trois (chemises) blanches pour une (robe) noire.

Merci à la Mairie de Souillac d’avoir offert (le concert était gratuit) cette Petite Fleur, « Cette fleur / Plus jolie qu'un bouquet / Elle garde en secret / Tous mes rêves d'enfant » que chantait Manu Dibango ou Henri Salvador sur des paroles de Fernand Bonifay.

On retrouvera avec Cauvaldor cette époque et la musique de Sidney Béchet le 14 novembre 2020 avec la conférence à Souillac de Philippe Baudoin, spécialiste par ailleurs de Béchet : « Cinq femmes afro-américaines animatrices de premier plan dans le Pigalle du jazz de l’entre-deux guerres » et le concert à Pinsac d’Olivier Franc et Jean-Baptiste Franc « Sidney Béchet & Stride ». Olivier Franc est dépositaire du saxophone de Sidney Béchet et reconnu par les critiques comme son meilleur disciple, son père René Franc, clarinettiste, a été compagnon du saxophoniste.

Robert Peyrillou