"Mon langage est le jazz"
Entretien avec Nguyên Lê, juin 2010
Robert Peyrillou, directeur artistique de souillac-en-jazz, intitule son édito « Le jazz pèlerin ». Le mot pèlerin évoque d’abord le voyage ; « Saiyuki », le texte, est un récit de voyage. Qu’en est-il de votre projet musical ?
Comme je l’ai écrit sur les notes de l’album, SAIYUKI est le nom japonais pour "Le Voyage en Occident", le célèbre roman chinois du 16e siècle de Wu Cheng'en.
Ce roman conte l'expédition en Inde, au 7e siècle, du bonze Xuanzang à la recherche de textes bouddhiques sacrés. J'ai voulu prendre ce "Voyage en Occident" comme l'image des voyages, réels ou imaginaires, qui amènent les musiciens de ce groupe à créer cette musique. Comme la quête d'un secret qui doit nécessairement passer par l'aventure de l'ailleurs, tout en gardant le plus précieux trésor : notre identité. Du Vietnam à l'Inde en passant par le Japon, nous tisserons les fils de soie qui peignent le visage d'une Asie sans frontières. A chacun son centre cardinal, (l'Occident que visait le roman Chinois était l'Inde), mais ici il explose. Le Centre est multiple, le Dialogue est lancé, les correspondances sont ouvertes : fêtons cela en musique !
Chaque musicien de SAIYUKI a la richesse d'une double culture, issue de la tradition & de la modernité à la fois. Chacun est virtuose de son très spécifique instrument. Prabhu & Mieko peuvent être profondément traditionnels, l'un accompagner le divin flûtiste hindoustani Hariprasad Chaurasia, & l'autre interpréter une pièce classique japonaise du 18e siècle pour le couple Impérial.
Mais ce sont aussi des musiciens ethniques vivants, connaisseurs des langages & des techniques de la musique d'aujourd'hui, curieux de rencontres & ouverts sur tous les possibles de notre monde. Mon langage est le Jazz, mais j'ai choisi de l'ouvrir & de l'alimenter avec d'autres cultures essentielles qui me fascinent & me rappellent mon origine. En tant que musicien de Jazz j'ai autant de plaisir à improviser avec eux qu'avec un autre grand musicien de Jazz. Le challenge est toujours là, la liberté & l'inspiration aussi. L'improvisation, cette compréhension & création musicale instantanée, repousse les limites de notre rencontre de cultures.
J’ai créé Saiyuki comme un terrain de jeu où diverses traditions asiatiques & des langages musicaux historiquement différents peuvent se rencontrer & se développer. Nous avons tant à partager & à apprendre de l’autre !
Vos différents albums portent la marque de votre éclectisme culturel, de l’Afrique au Viêtnam, du Maroc à la Turquie, de Jimi Hendrix à Claude Nougaro. Je suppose que c’est un gros travail de s’approprier des codes et des sensibilités aussi différents ?
C’est un travail que je fais depuis plus de 20 ans, depuis « Ultramarine » (1985) en passant par « Tales from Viet Nam » (1995) & « Maghreb & Friends » (1996), etc... J’ai toujours été fasciné par les autres cultures, je suppose à cause de la situation de métissage culturel dans laquelle je suis né (à Paris de parents vietnamiens). Il y a tant à apprendre des autres cultures. Mais pour que la rencontre soit heureuse il faut qu’il y ait non seulement du respect & de l’amour pour l’autre culture, mais aussi un moment d’oubli de ses propres références : faire le vide en soi pour ouvrir l’espace pour accueillir l’autre. A la fin de cette quête circulaire on se retrouvera soi même, enrichi & agrandi.
En vous écoutant, il me semble que votre instrument est votre ancrage et que c’est par lui que vous donnez continuité à votre périple musical. J’aimerais que vous nous parliez de la guitare électrique dans votre jazz.
J'ai commencé la musique très tard. D'ailleurs, les premières notes qui m'ont vraiment marqué sont celles de Deep Purple, j'étais alors en classe de 6eme. L'énergie et l'électricité du hard rock m'ont plu. J'ai toujours gardé ces deux éléments, pour moi proches de la transe, dans mon jeu. Puis j'ai été batteur dans un groupe de lycée. Notre musique était déjà très improvisée, avec une couleur King Crimson. Un jour, le guitariste a laissé son instrument chez moi. J'ai pris sa guitare et j'ai ressenti un nouveau déclic : c’était cet instrument qui allait être ma voie autant que ma voix. La guitare classique de ma sœur ne m’intéressait pas du tout : j’avais besoin de ces cordes en métal qui suivent la vibration de mon corps & donnent le sustain qui fait chanter les notes ; j’avais besoin de cette électricité, qui ouvre tout un monde de sons & d’énergie.
J'ai commencé à 16 ans un apprentissage en autodidacte, ce que je suis resté jusqu'au bout, j'improvisais beaucoup. Je n'ai jamais appris à jouer sur les morceaux à la mode. J'ai commencé à écouter du jazz-rock. D'abord avec Return To Forever, puis John McLaughlin et, enfin, Weather Report. Puis, un ami m'a montré le Real Book : avant, je n'aimais pas les accords, surtout les accords majeurs ! Lorsque j'ai appris les accords jazz, tout a changé. J'ai compris que l'improvisation était une façon de développer de manière horizontale l'harmonie qui est verticale - en tous cas dans le langage be-bop. Je n'ai appris le solfège, toujours tout seul, que lorsque j'ai souhaité écrire mes premières compositions. En fait, je ne me suis jamais centré sur les guitaristes. Je préfère dire que c'est la musique et cet instrument qui m'ont choisi. J'ai toujours davantage pensé à la musique qu'à l'instrument. J'ai passé des heures à improviser tout seul, jamais à faire des gammes : c'était une transe, pas un exercice !
À Souillac, vous allez jouer en plein air, avec dans votre dos, une imposante abbaye romane qui constitue un décor riche en spiritualité. Quelle influence ont sur vous, sur votre musique en train de se produire, le lieu, le cadre, le décor ?
La question est délicate : j’ai fait des concerts somptueux autant que médiocres dans des caves minuscules & sur des scènes grandioses, devant 20 ou 20 000 personnes ! Il y a en fait rarement un rapport direct entre le contexte & le spectacle, & il y a tellement de raisons pour qu’un spectacle réussisse ou pas. La musique a ses propres lois…Je pense que le cadre est plus important pour le public, qui transmettra alors une vibration différente. Et si le concert se passe bien & que le contexte est spécialement inspirant, alors le résultat sera d’autant plus miraculeux ! Car là est l’essence de l’Art…
Propos recueillis par Marie-Françoise
Robert Peyrillou, directeur artistique de souillac-en-jazz, intitule son édito « Le jazz pèlerin ». Le mot pèlerin évoque d’abord le voyage ; « Saiyuki », le texte, est un récit de voyage. Qu’en est-il de votre projet musical ?
Comme je l’ai écrit sur les notes de l’album, SAIYUKI est le nom japonais pour "Le Voyage en Occident", le célèbre roman chinois du 16e siècle de Wu Cheng'en.
Ce roman conte l'expédition en Inde, au 7e siècle, du bonze Xuanzang à la recherche de textes bouddhiques sacrés. J'ai voulu prendre ce "Voyage en Occident" comme l'image des voyages, réels ou imaginaires, qui amènent les musiciens de ce groupe à créer cette musique. Comme la quête d'un secret qui doit nécessairement passer par l'aventure de l'ailleurs, tout en gardant le plus précieux trésor : notre identité. Du Vietnam à l'Inde en passant par le Japon, nous tisserons les fils de soie qui peignent le visage d'une Asie sans frontières. A chacun son centre cardinal, (l'Occident que visait le roman Chinois était l'Inde), mais ici il explose. Le Centre est multiple, le Dialogue est lancé, les correspondances sont ouvertes : fêtons cela en musique !
Chaque musicien de SAIYUKI a la richesse d'une double culture, issue de la tradition & de la modernité à la fois. Chacun est virtuose de son très spécifique instrument. Prabhu & Mieko peuvent être profondément traditionnels, l'un accompagner le divin flûtiste hindoustani Hariprasad Chaurasia, & l'autre interpréter une pièce classique japonaise du 18e siècle pour le couple Impérial.
Mais ce sont aussi des musiciens ethniques vivants, connaisseurs des langages & des techniques de la musique d'aujourd'hui, curieux de rencontres & ouverts sur tous les possibles de notre monde. Mon langage est le Jazz, mais j'ai choisi de l'ouvrir & de l'alimenter avec d'autres cultures essentielles qui me fascinent & me rappellent mon origine. En tant que musicien de Jazz j'ai autant de plaisir à improviser avec eux qu'avec un autre grand musicien de Jazz. Le challenge est toujours là, la liberté & l'inspiration aussi. L'improvisation, cette compréhension & création musicale instantanée, repousse les limites de notre rencontre de cultures.
J’ai créé Saiyuki comme un terrain de jeu où diverses traditions asiatiques & des langages musicaux historiquement différents peuvent se rencontrer & se développer. Nous avons tant à partager & à apprendre de l’autre !
Vos différents albums portent la marque de votre éclectisme culturel, de l’Afrique au Viêtnam, du Maroc à la Turquie, de Jimi Hendrix à Claude Nougaro. Je suppose que c’est un gros travail de s’approprier des codes et des sensibilités aussi différents ?
C’est un travail que je fais depuis plus de 20 ans, depuis « Ultramarine » (1985) en passant par « Tales from Viet Nam » (1995) & « Maghreb & Friends » (1996), etc... J’ai toujours été fasciné par les autres cultures, je suppose à cause de la situation de métissage culturel dans laquelle je suis né (à Paris de parents vietnamiens). Il y a tant à apprendre des autres cultures. Mais pour que la rencontre soit heureuse il faut qu’il y ait non seulement du respect & de l’amour pour l’autre culture, mais aussi un moment d’oubli de ses propres références : faire le vide en soi pour ouvrir l’espace pour accueillir l’autre. A la fin de cette quête circulaire on se retrouvera soi même, enrichi & agrandi.
En vous écoutant, il me semble que votre instrument est votre ancrage et que c’est par lui que vous donnez continuité à votre périple musical. J’aimerais que vous nous parliez de la guitare électrique dans votre jazz.
J'ai commencé la musique très tard. D'ailleurs, les premières notes qui m'ont vraiment marqué sont celles de Deep Purple, j'étais alors en classe de 6eme. L'énergie et l'électricité du hard rock m'ont plu. J'ai toujours gardé ces deux éléments, pour moi proches de la transe, dans mon jeu. Puis j'ai été batteur dans un groupe de lycée. Notre musique était déjà très improvisée, avec une couleur King Crimson. Un jour, le guitariste a laissé son instrument chez moi. J'ai pris sa guitare et j'ai ressenti un nouveau déclic : c’était cet instrument qui allait être ma voie autant que ma voix. La guitare classique de ma sœur ne m’intéressait pas du tout : j’avais besoin de ces cordes en métal qui suivent la vibration de mon corps & donnent le sustain qui fait chanter les notes ; j’avais besoin de cette électricité, qui ouvre tout un monde de sons & d’énergie.
J'ai commencé à 16 ans un apprentissage en autodidacte, ce que je suis resté jusqu'au bout, j'improvisais beaucoup. Je n'ai jamais appris à jouer sur les morceaux à la mode. J'ai commencé à écouter du jazz-rock. D'abord avec Return To Forever, puis John McLaughlin et, enfin, Weather Report. Puis, un ami m'a montré le Real Book : avant, je n'aimais pas les accords, surtout les accords majeurs ! Lorsque j'ai appris les accords jazz, tout a changé. J'ai compris que l'improvisation était une façon de développer de manière horizontale l'harmonie qui est verticale - en tous cas dans le langage be-bop. Je n'ai appris le solfège, toujours tout seul, que lorsque j'ai souhaité écrire mes premières compositions. En fait, je ne me suis jamais centré sur les guitaristes. Je préfère dire que c'est la musique et cet instrument qui m'ont choisi. J'ai toujours davantage pensé à la musique qu'à l'instrument. J'ai passé des heures à improviser tout seul, jamais à faire des gammes : c'était une transe, pas un exercice !
À Souillac, vous allez jouer en plein air, avec dans votre dos, une imposante abbaye romane qui constitue un décor riche en spiritualité. Quelle influence ont sur vous, sur votre musique en train de se produire, le lieu, le cadre, le décor ?
La question est délicate : j’ai fait des concerts somptueux autant que médiocres dans des caves minuscules & sur des scènes grandioses, devant 20 ou 20 000 personnes ! Il y a en fait rarement un rapport direct entre le contexte & le spectacle, & il y a tellement de raisons pour qu’un spectacle réussisse ou pas. La musique a ses propres lois…Je pense que le cadre est plus important pour le public, qui transmettra alors une vibration différente. Et si le concert se passe bien & que le contexte est spécialement inspirant, alors le résultat sera d’autant plus miraculeux ! Car là est l’essence de l’Art…
Propos recueillis par Marie-Françoise
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